Nicolino Locche, l’intouchable

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Dès que l’on parle de génie défensif, de boxeurs classés dans la catégorie « des stylistes », de ceux qui tendent à l’efficacité et à la beauté, de ces qualités pugilistiques qui permettent d’échapper au temps, les noms de Willie Pep, Pernell Whitaker, James Toney, et Floyd Mayweather Jr reviennent souvent. Mais, de tous ces boxeurs capables de sortir des normes, de tous ces boxeurs qui ont marqué ce sport par leur unicité, un nom est souvent oublié, celui que l’on surnommait « l’intouchable », Nicolino Locche. Un boxeur de génie, un artisan du ring en avance sur son temps, un des pionniers dans la maîtrise défensive du noble art.

A l’aube du XXème siècle, alors que le football n’était pas encore le sport national, la boxe demeure une part importante de la vie sportive argentine. L’histoire a commencé avec la 1ère grande star sportive du pays, le légendaire Luis Angel Firpo « le Taureau sauvage des Pampas » (31-4, 26 KO). Il a défié quelques uns de ses adversaires aux États-Unis, et même s’il n’a jamais été champion du monde, son combat, en 1923, contre Jack Dempsey restera dans les annales de la boxe. Après Firpo, de nombreux boxeurs célèbres suivirent. Tout d’abord, Justo Suarez (24-3-1, 14 KO), idole et prétendant au titre de champion du monde des poids légers dans les années 30, mais il mourut soudainement de la tuberculose à l’âge de 29 ans. Une figure incontournable de l’Argentine des années 40-50, Jose Maria Gatica (86-7-2, 72 KO) en raison de ses victoires au style exalté. Pascal Perez (84-7-1,57 KO) a été le 1er boxeur argentin à devenir champion du monde en 1954 et il conserva son titre pendant plus de 5 ans. Il était populaire mais sans plus du fait qu’il combattait surtout à l’étranger. Et vient ensuite, celui qui deviendra le plus populaire, la légende vivante incontournable du pays, l’un des meilleurs boxeurs défensif de tout les temps, le seul qui a été capable d’amener régulièrement une foule de 20 000 fans dans la célèbre enceinte du Luna Park à Buenos Aires, ce que Carlos Monzon n’a jamais fait, Nicolino Locche (117-4-14, 14 KO).

Quand la Boxe devient un Tango :

Né le 2 décembre 1939 à Tunuyan en Argentine, sixième d’une grande fratrie d’un couple d’immigrés italiens pauvre, il a été champion du monde WBA des poids super-légers de 1968 à 1972. Durant sa carrière professionnelle, il effectuera 136 combats avec 117 victoires, dont 14 remportées avant la limite, 14 matchs nuls, 1 no-contest, et seulement 4 défaites. Il a été intronisé à lInternational Boxing Hall of Fame en 2003. Le fait d’avoir principalement boxé dans son pays, a grandement contribué à son manque de notoriété et à la reconnaissance mondiale qu’il méritait, d’où, également, son intronisation tardive au Temple de la Renommée.

Enfant, Nicolino Locche était précoce. A 8 ans il fait ses premières gammes dans le gymnase Julio Mocoroa, sous l’aile de Don Paco Mora, son premier et unique entraîneur. Après une très belle carrière en amateur avec un palmarès de 117 victoires pour seulement 5 défaites, il passe professionnel en 1958, alors âgé de 19 ans. Au fil des combats, Locche, qui a souvent boxé au Luna Park à Buenos Aires, est devenu une idole en Argentine. Son style de boxe a fait de lui une légende vivante dans son pays. Transgressant les principes de la boxe basés sur l’affrontement physique et l’agressivité, avec Locche, le noble art prend un autre sens : « frapper sans être touché ». Cet artiste du ring gagne ses combats sans véritablement frapper et impose sous les regards ébahis des juges, des spectateurs, des journalistes, et de ses adversaires son esthétisme de la défensive. Ses réflexes, aussi surprenants et étranges étaient-ils, lui permettaient de se tenir face à ses adversaires avec les mains derrière le dos, posées sur ses genoux ou sur les côtés sans se faire toucher. Des feintes de toute beauté, des réflexes extraordinaires, une anticipation qui fait merveille, il va jusqu’à narguer ses adversaires par des mots ou des grimaces, n’hésitant pas, parfois, à tourner le dos à ses adversaires pour échanger quelques mots avec le public ou même saluer quelques journalistes. Il va même jusqu’à tenir à distance, d’un bras tendu, son adversaire pour se moucher assez bruyamment avec l’autre. C’est dire la confiance qui habite ce boxeur « étrange » qui a affronté les meilleurs en les faisant mal paraitre, tellement il était facile sur le ring. Bien souvent, ses adversaires renonçaient, détruits psychologiquement.

Pour la première fois de son histoire le Luna Park, cette mythique enceinte, voit défiler un nombre important de femmes et d’enfants venus admirer ce génie « clownesque » des rings. Avec Nicolino Locche, la boxe prend une autre forme, un spectacle de tauromachie. Chaque combat dans le ring s’apparente à une arène où Locche, tel un toréador sans épée, humilie un taureau impuissant devant une cible qui se dérobe sans cesse. Le public est en effervescence devant chacune de ses « représentations ». Son surnom d’« Intouchable » restera à jamais.

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Nicolino « l’intouchable » Locche, aussi surprenant que cela puisse paraitre, était un boxeur hors du commun. Son style était unique et, sur le ring, il était très actif, entre 5 et 10 combats, parfois 12 par an. La boxe demande beaucoup d’engagement, une sacrée hygiène de vie et d’extrêmes sacrifices. Et pourtant, les sacrifices et la rigueur à l’entrainement, ce n’était pas pour lui. Il ne se refusait rien, même la veille d’un combat. Lui, qui était parfois surnommé le « Charlie Chaplin de la boxe », était connu pour être un gros fumeur. Pendant ses combats, il lui arrivait même, caché sous la serviette, de fumer une cigarette pendant la minute de repos entre chaque reprise.

Intouchable sur les rings, il l’était aussi en dehors des rings. Jamais une critique, même dans les journaux, sur son manque de rigueur et de professionnalisme. Il était la légende du pays, les gens lui pardonnaient tout ceci. Il remplissait à chaque fois l’enceinte du Luna Park, et peu importe quel était son adversaire, les gens venait en masse pour le voir. Locche était la dernière grande idole des boxeurs argentins, le plus spectaculaire. Il était unique et aucune autre figure emblématique de la boxe en Argentine (Luis Angel Firpo, Justo Suarez, Jose Maria Gatica, Carlos Monzon, …) n’aura eu le même impact .

Le 4 novembre 1961, il décroche le titre de champion d’Argentine des poids légers en battant Jaime Gine, et le 29 juin 1963,  il s’empare du titre de champion d’Amérique du sud des poids légers en battant Sebastiao Nascimento. Le 10 août de cette même année, il a battu Joe Brown. Il fera match nul contre Ismael Laguna le 17 juillet 1965,  et contre Carlos Ortiz (l’un des meilleurs boxeurs portoricains de tous les temps) le 7 avril 1966. Il va ensuite enchainé avec 28 succès consécutifs, et le 12 octobre 1968, il fera match nul contre Anibal Di Lella. Locche, qui avait affronté les meilleurs boxeurs du moment, n’avait toujours pas combattu en dehors de son pays, l’Argentine. Et le 12 décembre 1968, c’est au Japon qu’il va tutoyer la gloire.

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 La consécration mondiale :

Malgré son manque de puissance, Nicolino Locche n’en reste pas moins un boxeur redoutable. Ses combats sont cruels pour ses adversaires. Au centre du ring ou dans les cordes, il est insaisissable. Par sa science du ring, « l’intouchable » était le plus violent des boxeurs. Forcer ses adversaires au désespoir à force de donner des coups dans le vide engendrait une démolition encore plus brutale que l’affrontement physique. Des adversaires qui se sont durement entrainés, répétant inlassablement les coups, pour finir impuissants devant cet artiste des rings. Des adversaires humiliés à chaque coups dans le vide, entrainant des rires et des « Olé » dans la foule en délire. Des adversaires, seuls avec eux-même sur le ring, fatigués physiquement puis psychologiquement. Une démolition en règle par l’imperturbable Locche, toujours aussi calme et confiant.

Le 12 décembre 1968, à Tokyo au Japon, Locche affronte le champion du monde WBA des poids super-plumes, le redoutable Paul Takeshi Fuji.

Pour la petite anecdote, lors de sa préparation pour ce championnat du monde, Locche est resté fidèle à lui-même. Avec son entraîneur de toujours et un ami, il « expédie » son footing matinal en sautillant à petits pas dans le bois de Palermo. Il prend rapidement le large pour fumer une cigarette discrètement. Mais pas de chance pour lui, il tombe nez à nez avec Juan Carlos Ongania, dictateur de son état, qui, furieux lui dit :

« Que faites-vous Locche ? Dans quelques jours vous allez défendre les couleurs de votre patrie et vous êtes en train de fumer ? Courrez ! »

Pas fou, Locche fait profil bas et reprend immédiatement son footing. De retour au pays après sa victoire au Japon, l’incorrigible rend visite au président dictateur et lui lance en guise de salut :

« Une petite clope mon Général ?« 

Ce combat, qui a eu lieu au Kuramae Stadium de Kokugikan à Tokyo, fut un véritable calvaire, une frustration et une humiliation pour le champion du monde Fuji. Locche a livré une performance incroyable. Fuji, très agressif, a brassé de l’air, se faisant contrer par les combinaisons de l’artiste. Locche a fait une démonstration devant le champion du monde impuissant et complètement frustré au fil du combat. A l’appel de la 10ème reprise, épuisé et frustré, conscient de son incapacité à renverser la vapeur devant ce génie, Fuji abandonne. Nicolino « l’intouchable » Locche devient le nouveau champion du monde WBA des poids super-plumes.

Locche enchainera une série de 18 victoires consécutives. Il a défendu victorieusement son titre contre Carlos Hernandez le 3 mai 1969, contre Joao Henrique le 11 octobre 1969, contre Adolph Pruitt le 16 mai 1970, contre Domingo Barrera le 3 avril 1971 et contre Antonio Cervantes le 11 décembre 1971.

Le 10 mars 1972, il perd son titre contre Alfonzo Frazer par décision unanime. Le 17 mars 1973, il affronte à nouveau Antonio Cervantes pour tenter de récupérer le titre de champion du monde. Cervantes est devenu champion du monde des poids super-légers WBA le 28 octobre 1972 en battant Frazer par KO dans la 10ème reprise. Locche échouera dans sa tentative de reconquête. Par la suite, il effectuera 7 combats victorieux, dont son dernier combat, le 7 aout 1976, contre Ricardo Molina Ortiz.

Nicolino Locche est décédé à Las Heras en Argentine, le 7 Septembre 2005, à l’âge de 66 ans.

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27 réflexions sur “Nicolino Locche, l’intouchable

  1. exquis, cet article est (comme le blog entier) un régal. dommage qu’il n’y est pas de vidéo genre highlight de ce génie.

  2. Vraiment superbe article, merci beaucoup. Encore une découverte d’un boxeur de légende que je ne connaissais pas du tout.

  3. Une légende de la boxe méconnue, sauf en Argentine. C’est vrai que les Firpo, Suarez, Gatica, Monzon, Lazarte, Narvaez, Bonavena, Baldomir, n’ont pas eu le même impact que Locche. Il y eu aussi les Castro, Vasquez, Maidana qui se sont fait remarqués mais sans plus, et ensuite Martinez et Matthysse.

  4. Yes voilà encore un gars méconnu qui gagne à être connu ….. Il fumait entre les round !!!!!!! Incroyable ! Un boxeur et un homme a part … J’aime ces boxeurs avec un style peu commun comme monzon Emanuel Augustus … Il était en avance effectivement sur son temps comme un sugar Robinson ! 117 v pour 14ko ! Imagine ce gars là avec du punch ….il été taquin sur le ring il devait être immonde à boxe 😁 en tt k c’est magnifique à regarder

    1. Oui, du grand art. Dommage qu’il n’est principalement boxer que dans son pays, sinon, il aurait été plus connu.

  5. J’avais déja entendu parler de lui, mais sans plus, et je ne m’y suis pas plus intéresser. Quand j’ai lu l’article j’ai été voir ses combats. Hélas, il y en a très peu sur le net. En même temps, comme il a fait quasiment toute sa carrière en Amérique du sud, il n’intéressait pas grand monde.
    Ce boxeur m’a scotché. Une science du ring hors du commun.

  6. Comme beaucoup d’entre vous, je n’ai jamais entendu parler de ce boxeur. J’ai donc été voir des vidéos de ses combats. Incroyable cette capacité à éviter les coups en restant devant ses adversaires. Un maitre. Le style défensif le plus sophistiqué de tous les temps.

  7. Pour quelq’un qui fumait beaucoup et qui s’entraianit soft, il avait une condition physique incroyable sur le ring.

  8. Pour moi, Locche est le plus grand boxeur défensif « pur » de tous les temps. Contrairement à d’autres génies défensifs qui contrôlaient leurs adversaires avec des esquives (bustes et jeu de jambes) et remisaient en contre, Locche restait droit devant ses adversaires et les invitait à passer à l’attaque, il était là face à eux, insaisissable, et ses adversaires s’épuisaient en frappant dans le vent. Du grand art, et Locche donnait quelques coups de temps en temps, juste assez pour remporter le round.
    De mémoire, je ne connais aucun boxeur qui faisait ça.

  9. Je me rappelle que mon entraineur, qui était fan de Locche, nous avait dit que lui avant chaque combat, au lieu de s’échauffer et répéter ses gammes comme font les boxeurs habituellement, lui il faisait une sieste.

  10. Une chose qu’il n’aura jamais esquivé de sa vie: le tabac. Il fumait comme un pompier, et ce qui était extraordinaire, c’est qu’il ne manquait pas de souffle sur le ring, surtout qu’il était très actif, plusieurs combats par an et assez rapproché en plus.

  11. Son surnom « d’intouchable » était amplement mérité. Dommage qu’il soit assez méconnu, car Locche sur un ring, c’est du très grand art.

  12. Willie Pep bougeait beaucoup avec ses jambes, alors que Nicolino Locche, non. Il restait souvent face à ses adversaires. Un art spectaculaire

  13. 117 victoires pour seulement 4 défaites, chapeau bas. Par contre, 14 KO sur ses 117 victoires, ça frappait pas fort. Mais en même temps c’est son style qui voulait ça. Un calvaire pour ses adversaires.

  14. j’ai regardé des combats de ce boxeur, je dois dire que ses esquives sont assez surprenante, mais ô combien efficace.

  15. niveau esquive et déplacement, c’était la maitrise totale; Des combats sans se faire toucher, finir un combat sans être amoché, gagner des reprises sans avoir donné de coups, un artiste ce Locche. Pour Moi, Pep vient en 1ere position, et ensuite Locche. En 3ème position, je mettrai Whitaker.

  16. Nicolino Locche, ce mec lisait la boxe de ses adversaires comme dans un livre ouvert. Pour moi, Withaker et Locche était les meilleurs génies défensifs, bien au-dessus des Pep, Toney et Floyd.

  17. Ah encore un article qui fait plaisir à lire, merci. Dommage qu’il n’avait pas de puissance dans ses coups, et dommage qu’il ait boxer la plupart du temps dans son pays. Il mérite beaucoup plus de reconnaissance au même titre que Whitaker, Toney ou Pep.

  18. c’est vrai que quand Nicolino boxait, il était comme un matador face à un taureau. Il a apporté une autre dimension de la boxe. Un phénomène.

  19. excellent article. Locche, un génie unique et inimitable, en avance sur son temps. Je me rappelle de son championnat du monde contre le dangereux champion Fuji. C’était outrageant pour Fuji tellement Locche était facile. Un virtuose. Le pauvre Fuji a mis toute son énergie pour essayer de le toucher, mais en vain. Locche était debout face à lui, intouchable.
    Du coup ton article m’a donné envie de revoir certains de ses combats.

  20. Je ne connaissais pas ce boxeur moi aussi. Quand j’ai lu ton article, je me suis maté des vidéos sur youtube. J’ai été épaté par ce génie méconnu. Pour son époque, c’est vraiment génial. Le gars est d’un calme olympien sur le ring, très facile, rapide et un excellent coup d’oeil.
    Merci de m’avoir fait découvrir ce champion.

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